La vie au bout des doigts

Lucien se remémore les souvenirs de sa vie. Une vie créative et pleine d’odeurs et de couleurs.

Dans cette évanescence des sens, il nous emmène à travers une existence dans laquelle la beauté côtoie l’amour. Et où l’amour s’étonne de sa beauté.

 

Extrait :

Au seuil de l’aube, Lucien demeure immobile, le regard absorbé par le spectacle qui se déroule au-delà de la fenêtre. Les feuilles, dans leur ultime ballet, jonchent le jardin, un rappel poignant de la fugacité du temps. Il ne parvient pas à se rappeler la dernière fois que ses pas l’ont porté au-dehors.

Les mélodies de la pluie d’automne créent une symphonie douce-amère sur l’auvent du porche, tandis que l’arôme de la terre nue, fraîchement dévoilée, se prépare à accueillir de nouvelles graines, un doux murmure de renaissance.

Il n’y a pas si longtemps, ce jardin était une explosion de couleurs vibrantes, un prisme de violets, rouges, bleus et roses dansant au gré du vent. Les pétales semblaient chuchoter des secrets ancestraux, embaumant l’air d’une fraîcheur printanière mêlée de notes de rose et de vanille. Leur grâce fragile apportait une sérénité presque méditative.

Lucien se trouve soudain envahi par une mosaïque d’arômes, de la cannelle épicée aux clous de girofle, en passant par l’odeur douceâtre de la vieillesse qui semblait imprégner chaque recoin de la maison.

Ses yeux, jadis flamboyants, se sont apaisés au fil du temps, rappelant les braises chaudes d’un foyer qui s’éteint doucement. Les traces de sa vie d’artiste se lisent dans les courbes noueuses de ses mains, dans les lignes fines qui dessinent une carte du temps sur sa peau.

 

La luminosité de son regard s’est atténuée, cédant la place à une douce brume teintée de gris et de bleu, où chaque reflet évoque un souvenir lointain, une époque révolue. Les fragrances de sa vie d’artiste lui reviennent en mémoire, un mélange enivrant de peintures à l’huile et de térébenthine, l’odeur du bois de pin des châssis qui supportaient ses toiles.

Bien que marquées par le temps, ses mains conservent une agilité surprenante, capables de capturer la beauté du monde avec une douceur infinie, une danse entre la toile et la chair. La mer était son sanctuaire, les lys, ses enfants bien-aimés. Dans un état de dévotion quasi méditative, il les capturait avec passion, ses doigts devenant les instruments de sa créativité débridée. Peu importait les heures qui s’évaporaient, les repas omis, les mots non prononcés.

Il avait choisi cette voie, celle de l’artiste, sans savoir à quel point elle sculpterait son existence, la façonnant en une œuvre d’art vivante, un tableau vibrant des émotions et des expériences d’une vie pleinement vécue.

 

À l’aube d’un jour nouveau, le monde de Lucien était sur le point de basculer de manière inattendue. Dans le silence de l’atelier, où seul le bruit de la pluie venait caresser le silence, une lettre jaunie par le temps faisait une apparition inopinée, glissant du vieux livre qu’il tenait entre ses mains. Les mots griffonnés à l’encre noire racontaient une histoire d’amour ancienne, mais jamais oubliée, une flamme qui refusait obstinément de s’éteindre.

Dans la solitude de son jardin, où la nature racontait des histoires éternelles, Lucien sentait un lien indéfectible avec les amants du passé, leurs rêves et leurs regrets. Comme une mélodie lointaine qui résonne à travers le temps, leur passion semblait éveiller quelque chose en lui, un désir enfoui de redécouvrir l’amour.

Ses journées devenaient un diptyque de création frénétique et de rêveries silencieuses, un mélange d’art et de souvenirs qui tissaient une tapisserie complexe de beauté et de mélancolie. Chaque toile devenait une fenêtre sur un monde oublié, une célébration de l’amour éternel et de la beauté transitoire du monde.

Pendant ce temps, à l’autre bout de la ville, une femme aux cheveux d’ébène et aux yeux qui brillaient comme des étoiles au crépuscule découvrait, elle aussi, un écho du passé qui faisait frémir son cœur solitaire.

Élise, une conservatrice de musée au cœur romantique, trouvait sa solitude rompue par les murmures qui l’appelaient à redécouvrir les joies simples de la vie. À mesure que les journées passaient, elle se sentait de plus en plus attirée par les toiles de Lucien, ce peintre solitaire dont les œuvres semblaient raconter son propre rêve éveillé.

 

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Meet The Author

"Dans l’ombre, je sculpte les mots, Pour donner vie à votre imagination, Pour transmettre vos mémoires, Votre vérité."

Lucien regarde par la fenêtre, il voit les feuilles tomber sur son jardin et ne se souvient pas de la dernière fois où il est sorti.

La pluie fraîche de l’automne tambourine sur l’auvent du porche et le parfum humide de la terre, nouvellement dénudée, se répand doucement.

Il y a encore peu de temps, les fleurs étaient éclatantes. Un spectre de violets, rouges, bleus, roses, toutes les nuances de l’arc-en-ciel inondaient le jardin. Leurs pétales chuchotaient quand elles bougeaient et elles sentaient comme la brise d’un après-midi de printemps, les roses et la vanille. Leur forme délicate donnait un sentiment de paix et de tranquillité.

Lucien se surprend à sentir dans l’air des odeurs d’épices, un peu de cannelle et de clous de girofle et le léger parfum de la vieillesse.

Ses yeux sont l’auburn des braises chaudes accumulées par les charbons ardents d’un feu mourant. Ses mains sont noueuses et rugueuses et les années de peinture et de sculpture ont laissé place à des callosités. Ses ongles, ébréchés et courts, sont devenus rugueux contre la douceur de la toile.

Chaque articulation, chaque jointure est fissurée dans une mosaïque de lignes fines. Ses veines poussent contre la peau comme les branches d’un saule. Les taches de vieillesse sur ses jointures s’étalent telle une carte du monde jusqu’au bout de ses doigts.

Les yeux de Lucien ont perdu leur éclat et reflètent une lumière éteinte depuis longtemps. Ils ont pris une teinte grise enveloppée d’une brume bleutée. Tout ce qui reste est loin derrière. 

Tout ce qui reste sont les souvenirs.

Il se remémore les huiles et les peintures qu’il utilisait pour créer son art. Les odeurs aigres-douces des pigments et des colorants, le parfum frais de la térébenthine et du pin du cadre de la toile. 

Lucien considérait la mer comme son sol et les lys comme sa progéniture. Il se penchait sur eux et les peignait de ses doigts, jusqu’au moindre de leurs détails. À peine mangeait-il, à peine parlait-il, à peine dormait-il.

Peintre. Il avait décidé d’en faire son métier. Il ne savait pas encore que ce choix allait déterminer toute sa vie.